Septième limite planétaire franchie : quel impact pour les pêcheurs africains ?
L’humanité a franchi une nouvelle étape critique : le dépassement de la septième « limite planétaire », celle de l’acidification des océans. Ce basculement menace durablement la vie marine et la sécurité alimentaire, notamment sur le continent.
Une nouvelle limite planétaire a été franchie pour la première fois en 2025: l’acidification des océans. Ce processus, directement lié à nos émissions de CO2, est délétère pour les écosystèmes marins.
À Saint-Louis, comme à Nouadhibou ou Dakhla, les pêcheurs africains le constatent chaque année un peu plus que la précédente, les filets se vident. Un drame pour des millions de familles pour lesquelles le po
L’acidité des océans perturbe la reproduction, la croissance et les fonctions métaboliques de nombreuses espèces. WIKIMEDIA COMMONS
Après celle sur le cycle de l’eau en 2023, une nouvelle limite planétaire a été franchie pour la première fois en 2025: l’acidification des océans. Provoquée par nos émissions de CO2, elle vient de dépasser un seuil alarmant. C’est la conclusion centrale du rapport sur les limites planétaires publié le 24 septembre par le Planetary Boundaries Science Lab, un laboratoire allemand dépendant de l’Institut de recherche de Potsdam sur les effets du changement climatique.
La notion de limites planétaires est développée depuis 2009 par plusieurs scientifiques à la pointe des sciences du «système Terre», autour notamment du chercheur suédois Johan Rockström. Ils définissent ces limites comme autant de seuils dans des processus planétaires à ne pas franchir, au risque de déstabiliser l’ensemble du système de manière irréversible, avec des effets majeurs pour le vivant. L’humanité, entre autres, dépend depuis 12 000 ans de cette stabilité pour «vivre, grandir et prospérer en toute sécurité», répète avec insistance le rapport.
7 limites dépassées sur 9
Les signaux rouges clignotent de toutes parts. Sur neuf limites planétaires identifiées par les chercheurs, l’acidification des océans est la septième à être franchie. Les six premières (changement climatique, cycle de l’eau, biodiversité, perturbations du cycle de l’azote et du phosphore, déforestation et changement d’utilisation des sols, pollution terrestre par des milliers de substances synthétiques) sont non seulement déjà dépassées, mais leur situation continue de s’aggraver.
Seules deux limites sont respectées et ne se détériorent pas: la pollution aux aérosols atmosphériques et le maintien de la couche d’ozone.
L’acidité de l’eau à la surface de l’océan a augmenté de 30 à 40% depuis l’ère préindustrielle, alertent les auteurs du rapport. Un processus directement lié à nos émissions de gaz à effet de serre puisque l’océan a la capacité de dissoudre une partie du CO2 atmosphérique. Il est même un puits de carbone essentiel, qui absorbe environ le quart de l’ensemble des émissions anthropiques.
Revers de la médaille: ce CO2 dissout dans l’eau conduit, par une suite de réactions chimiques, à augmenter l’acidité de l’océan. Un phénomène extrêmement délétère pour les organismes marins. Beaucoup d’espèces – coraux, mollusques et certains crustacés notamment – ont de plus en plus de difficulté à fabriquer leur coquille et leur squelette lorsque l’acidité augmente.
Cette acidité perturbe également la reproduction, la croissance et les fonctions métaboliques de nombreuses espèces, énumère le rapport, menaçant leur survie et, par voie de conséquence, celle des autres animaux qui s’en nourrissent.
Tous les écosystèmes marins menacés
Jusqu’à quel point cette acidification croissante menace la survie des écosystèmes marins? «C’est très difficile à dire, les organismes subissent de très nombreux facteurs de stress simultanés: l’acidification, le réchauffement de l’eau, sa désoxygénation, la présence de pesticides et de polluants multiples. L’acidification fragilise les espèces, mais on a du mal à isoler un seul facteur», dit Fabrice Pernet, biologiste marin à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer).
L’ampleur de la menace reste difficile à quantifier. Ce qui est sûr, c’est que la perspective est effrayante, avec de possibles conséquences en cascade. «Je crains que certains organismes n’atteignent un point de bascule. On risque de perdre des espèces, mais aussi les fonctions qu’elles remplissent dans les écosystèmes. Par exemple, les crustacés cirripèdes ou certaines éponges ont un rôle de filtration de l’eau de mer», explique le chercheur.
Il précise: «Sans cette fonction, certaines zones seraient beaucoup plus troubles. Plus de turbidité, c’est moins de lumière, indispensable pour les algues ou le phytoplancton. Un milieu turbide, c’est un milieu sans vie.»
«Je crains que certains organismes n’atteignent un point de bascule» Fabrice Pernet
Tous les océans du globe sont touchés par l’acidification, avec de fortes disparités régionales. L’acidification est beaucoup plus avancée aux hautes latitudes, particulièrement dans l’océan Arctique. Car plus une eau est froide, plus elle peut absorber de CO2. Facteur aggravant: la fonte des glaces continentales, et notamment celles du Groenland, entraîne un afflux d’eau douce, naturellement plus acide que l’eau de mer, dans l’océan Arctique.
Les élégants papillons de mer, petits mollusques éthérés aux couleurs vives, en subissent déjà les conséquences. Les chercheurs observent des individus dont la coquille est difforme et de plus en plus fragile.
L’acidification va aussi, indirectement, aggraver le changement climatique. Car plus l’océan absorbe de CO2, moins il devient capable d’en absorber davantage. Après s’être dissout dans l’eau, le CO2 se recombine avec des ions carbonates, pour former d’autres molécules. Mais le processus épuise les ions carbonates disponibles: l’acidification sature, en quelque sorte, de plus en plus l’éponge à CO2 atmosphérique qu’est l’océan.
«On sait qu’on risque de perdre 25 à 30% des capacités de ce puits de carbone d’ici à 2100 dans un scénario de fortes émissions, à cause de ce phénomène et de la stratification de l’océan. Ce processus est déjà connu et intégré aux modèles climatiques», dit Laurent Bopp, océanographe et chercheur au Laboratoire de météorologie dynamique de l’Institut Pierre-Simon Laplace.
Une limite planétaire qui ne fait pas consensus
L’effet de l’acidification sur les écosystèmes marins est, lui, beaucoup plus difficile à mesurer à l’échelle globale. La décision d’acter aujourd’hui du franchissement d’une limite planétaire sur cet enjeu est d’ailleurs sujette à débats parmi les chercheurs.
«La notion de limite planétaire ne fait pas consensus. Comme tous les indicateurs, elle simplifie des phénomènes complexes. Elle a toutefois le mérite d’alerter les populations et les décideurs sur le fait que nous sommes clairement en train d’exploser les limites des systèmes terrestres», explique Sabrina Speich, océanographe et climatologue, professeure à l’Ecole normale supérieure.
Le critère retenu par les chercheurs pour acter du dépassement de la limite planétaire n’est d’ailleurs pas directement celui de l’acidité, mais celui de «l’état de saturation de l’eau de mer de surface en aragonite».
En clair: on mesure la quantité d’aragonite présente dans l’eau. Un indicateur crucial puisque l’aragonite est précisément la forme de carbonate de calcium utilisée par de nombreuses espèces pour fabriquer leur coquille. Plus l’eau sera acide, plus cela fait chuter le taux d’aragonite, et plus les organismes auront du mal à fabriquer leur coquille. Si l’océan devient sous-saturé en aragonite, celui-ci tendra même à se dissoudre dans l’eau, comme les coquilles qui en sont constituées.
Or, le taux de saturation en aragonite vient de passer sous la barre des 80% de celui qu’il était avant le début de l’ère industrielle. C’est le taux retenu par les auteurs pour définir la limite planétaire de l’acidification. Ce taux ne correspond toutefois pas à un point de rupture particulier pour les milieux. Dans une étude publiée en juin, des scientifiques considéraient de leur côté que la limite planétaire pouvait être franchie dès le taux de 90% atteint.
Le bord du gouffre se rapproche
«Je ne suis pas convaincu que parler de ‘limite planétaire’ pour l’acidification fasse sens, même si la situation est alarmante, dit Laurent Bopp, 80, 90 ou 70 %… Il n’y a pas de seuil particulier. L’unique seuil, d’un point de vue chimique, c’est lorsqu’on arrive à sous-saturation de l’aragonite et que les coquilles des organismes commencent à se dissoudre. Ce qui va arriver dans certaines zones, avec des disparités.»
isson constitue la principale source de protéine, mais aussi de revenus. La cause historique de ce déclin est bien connue : la surpêche, pratiquée notamment par les navires usines européens.
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